28 juillet 2014

Créativité et labeur selon Cohen


Panier

Tu devrais t’en aller
de place en place
recouvrer les poèmes
écrits pour toi,
et que tu peux signer de ton nom.
Ne discute de ces choses
avec personne.
Recouvre. Recouvre.
Quand le panier sera plein
quelqu’un paraîtra
à qui tu pourras le présenter.
Elle va étendre sa grande jupe
et elle va s’asseoir
sur une pierre noire
et ton panier va rebondir
comme un fétu dans le soleil
sur l’immense paysage
de son giron.

~ Leonard Cohen

Traduction : Michel Garneau
Livre du constant désir
Éditions de l’Hexagone, 2007; p. 59 

Dans une interview accordée en 1992, Leonard Cohen révélait sa façon de concevoir l’inspiration et le travail qui en découle : «il ne faut pas abandonner avant de savoir ce que vous abandonnez». 

Un formidable témoignage sur sa vocation, son processus créatif et ses motivations profondes qui ont toujours prévalu sur la reconnaissance et le mercantilisme. Ce qui ne l’a pas empêché de réussir et d'obtenir une fabuleuse quantité de prix!  

2011 Prince of Asturias Award
http://leonardcohenhallsoffame.blogspot.ca/

La chanson 

«Il y aura toujours quelqu'un pour donner un sens à une chanson. Les gens se courtisent, les gens trouvent leurs conjoints, les gens font des bébés, les gens lavent leur vaisselle, les gens passent à travers leur journée avec des chansons que nous pouvons juger insignifiantes. Mais pour d'autres, elles ont une signification. Il y aura toujours quelqu'un pour affirmer l'importance d’une chanson qui l’a incité à prendre une femme dans ses bras ou l’a aidé à passer la nuit. Voilà ce qui ennoblie la chanson. Les chansons n’ennoblissent pas l’activité humaine. L’activité humaine ennoblie la chanson.»

Inspiration et dur labeur 

«J'écris tout le temps. Et quand les chansons commencent à se combiner, je ne fais rien d’autre qu’écrire. J'aimerais bien être de ceux qui écrivent des chansons rapidement. Mais ce n’est pas pour moi. Donc, ça me prend beaucoup de temps pour découvrir ce que sera cette chanson. Alors, je travaille presque tout le temps. [...]
       Pour trouver une chanson que je peux chanter, je dois y mettre toute mon attention, dépasser mon ennui intérieur et mon indifférence vis-à-vis de mes propres opinions, et traverser ces obstacles; la chanson doit me parler, avoir une certaine importance. Découvrir cette chanson qui peut m’intéresser nécessite de nombreuses versions et beaucoup de déblayage...
       Ma façon de penser est bureaucratique et pareille à un embouteillage. Mon état d'esprit ordinaire ressemble à la salle d’attente d’une urgence. … Alors, pour pénétrer cette broussaille et le débat inutile qui occupe presque toute mon attention, je dois trouver quelque chose qui parle vraiment de mes intérêts profonds. Autrement, je me perds dans un sens ou un autre. Alors, trouver cette chanson qui a du sens, exige beaucoup de versions, beaucoup de travail et beaucoup de sueur.
       Mais pourquoi mon travail ne devrait-il pas être ardu? Presque tout le monde travaille dur. On se laisse distraire par cette notion qu'il existe une chose comme l’inspiration qui vient rapidement et facilement. Et certaines personnes sont dotées de cette aptitude. Pas moi. Je dois donc travailler aussi dur que n’importe quel ouvrier pour fournir ma charge utile.»

«Liberté et restriction sont des termes luxueux pour celui qui est enfermé dans le donjon de la tour à chansons. Ces sont simplement des ... idées. Je n’éprouve pas de sentiments de restriction ou de liberté. J'ai simplement le sens du travail. J'ai le sens du travail ardu.»

Travailler dur peut-il être agréable?

«Il y a un certain réconfort. Le mental physique est musclulaire. Cela vous donne une certaine allure quand vous marchez dans le sombre paysage de vos pensées. Vous avez un certain type de tonalité dans votre activité. Mais la plupart du temps, ça n'aide pas. Ce qui compte c’est le travail ardu. Je pense que le chômage est le plus grand malheur de l'homme. Même les personnes qui ont un emploi sont en chômage. En fait, la plupart des gens qui ont un emploi sont en chômage. Je peux dire avec plaisir et gratitude que je suis un employé à plein temps. Peut-être que tout travail ardu signifie plein-emploi.»

D’où viennent les bonnes idées?

«Si je savais d’où viennent les bonnes chansons, j'irais là plus souvent. C'est un état mystérieux. C'est un peu comme la vie d'une religieuse catholique. Vous êtes marié à un mystère.»

Le processus créatif

«Avant d’abandonner, nous devons avoir investi tout ce que nous avions pour que l'image complète se révèle d’elle-même et justifie l'abandon, ce qui s'applique également à tout, du travail à l'amour.
       Avant de rejeter un verset, je dois l'écrire ... Je ne peux pas jeter un verset avant qu'il ne soit écrit parce que c'est l'écriture du verset qui produit un quelconque délice ou un intérêt, ou des facettes qui vont accrocher la lumière. La taille d’une pierre précieuse est incomplète tant qu’on ne la voit pas briller.»

Après un demi-siècle : le travail, un impératif existentiel

«Il y a d’abord l’impératif économique. Je n'ai jamais gagné assez d'argent pour me dire : ‘Oh, je pense que maintenant je vais vivre sur un yacht et faire de la plongée sous-marine’. Je n'ai jamais eu les fonds nécessaires pour prendre des décisions radicales par rapport à ce que pourrais faire dans la vie.
       Ensuite, j'ai été formé à ce qui deviendrait plus tard Montreal School of Poetry. Avant les prix, avant les subventions, avant même que les filles s’intéressent à ce que je faisais. Nous nous rencontrions, un groupe vaguement définissable de personnes. Il n'y avait pas de récompenses, comme je l'ai dit, aucune récompense autre que le travail lui-même. Nous lisions nos poèmes. Nous étions passionnément impliqués dans la poésie et notre vie tournait autour de cette occupation.
       Nous avions comme modèles des poètes qui avaient travaillé toute leur vie. Nous ne pensions pas à envahir le marché, ou qu’il fallait faire un hit et le sortir. Ce genre de sensibilité n’a pris racine dans mon esprit que récemment... J'ai donc toujours eu le sentiment d'être là-dedans pour y rester; si vous êtes en santé, et si vous êtes assez chanceux pour avoir la longévité qui vous permettra de continuer. Je n'ai jamais eu l’impression qu’il y aurait une fin. Qu'il y aurait une retraite ou qu'il y aurait un jackpot.»

Ces citations sont tirées d’une compilation d’entretiens avec des chanteurs-compositeurs publiée par Paul Zollo : Songwriters on Songwriting.

Article complet : http://www.brainpickings.org/

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Citation du jour :

Rares sont ceux qui vivent leur vie si intégralement que la mort ne représente aucune menace. La plupart des gens combattent la mort comme ils ont combattu la vie.
~ S. Levine

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